Petit lexique du livre relié : observer et nommer ses éléments structurels.
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Une coiffe, joliment dessinée, accompagne le tracé des chants du carton. C’est du charabia pour vous?
Vous êtes au bon endroit. Nous allons traduire ce jargon. Nous commencerons cette introduction à l’anatomie du livre relié par des éléments communs à tous les livres avant de porter notre attention sur la structure du livre relié.
Attention, il s’agit ici d’une vision globale. Je ne peux détailler en une fois l’ensemble de l’anatomie du livre sans risquer de vous assommer complètement !
architecture fondamentale du livre
Pour relier un livre, il faut d’abord un livre, c’est à dire du papier imprimé. La plupart du temps, les livres entrant en atelier de reliure sont des livres brochés. Celui-ci nous servira donc de référent pour commencer cette immersion dans la structure du livre.
Le livre broché, comme vu précédemment, est un produit d’industrie. Il est intéressant dans la mesure où sa simplification outrancière permet de comprendre l’architecture minimale d’un livre avant d’entrer dans les détails du livre relié.
Les fonctions du livre
Un livre est avant tout une structure de feuilles assemblées. C’est un objet destiné à la fois à protéger des informations (de nature scripturales ou picturales) et à les consulter. Le plus souvent, le livre obéit à ces fonctions en adoptant deux positions :
une position ouverte qui, en se déployant, permet d’observer une à une chaque face des feuilles de papier qui composent le cœur de l’ouvrage.
une position fermée protégeant ces feuilles de papier, qu’on va réduire dans ce chapitre à un pavé.
Livre broché: Structure minimaliste
Pour résumer grossièrement, on peut dire que l’industrie du livre se concentre sur la fonction de consultation au détriment de la fonction de conservation. Par conséquent, la forme des livres industriels s’en trouve simplifiée : le livre broché est un objet minimaliste. Il est composé d’un ensemble de cahiers assemblés d’un coté et couvert d’un papier de couverture.
Le montage se fait à partir de feuilles grand format imprimées recto-verso. Elles sont ensuite pliées plusieurs fois jusqu’à obtention d’un cahier. Chaque cahier correspond ainsi à une seule feuille. Les cahiers, en nombre variable, sont ensuite assemblés par couture (le brochage) puis recouverts du papier de couverture imprimé. L’ensemble est ensuite massicoté sur les trois cotés.
À partir de cette structure, on peut déjà établir un peu de vocabulaire. Prenons la position fermée. Si on regarde le livre de face, posé à plat sur une table, on peut voir : la couverture avant, le dos et les 3 tranches.
La face avant du livre broché est nommée la première de couverture, tandis que la face arrière est nommée la quatrième de couverture. Les couvertures sont parfois repliées sur elles-mêmes de manière à former des rabats.
Exemple de livre broché avec la terminologie consacrée.
Vue sur la tranche de tête d’un livre à rabats. On voit bien la composition en cahiers, qui sont dans ce livre assez épais.
Le montage des cahiers par pliages est très visible sur ce livre non-découronné, c’est à dire non-massicoté
Le dos, situé sur la face gauche quand on regarde un livre de face, est la partie visible en bibliothèque. Il est parfois nommé « tranche » dans certains secteurs du livre. C’est ici que se situe l’assemblage du livre par brochage et/ou collage. Le titre de l’œuvre y est souvent imprimé, ainsi que son auteur. En bibliothèque publique, la cote y est apposée à des fins de classification des documents.
En reliure, tous ces éléments (dos, couvertures, rabats, jaquettes, etc.) sont réintégrées dans le livre tandis que les deux faces du pavé portent un autre nom : les plats.
Vue sur la première de couverture réintégrée dans une reliure passée-carton
Vue sur le dos de brochure et la quatrième (muette) réintégrée dans une reliure emboitée de type bradel
Vue sur le dos et la quatrième de couverture réintégrés dans une reliure passée-carton
Vulnérabilité permanente
Les tranches sont les faces permettant l’ouverture du document. Elles sont la plupart du temps au nombre de trois et laissent apparaître le papier « dans son épaisseur ». On les distingue de la manière suivante:
la “tranche de tête” en haut,
la “tranche de queue” en bas,
la “tranche de gouttière” du coté droit, opposé au dos.
Les termes de “tête” et “queue” désignent aussi, par métonymie, les cotés supérieurs et inférieurs d’un document dès les premiers stades de montage. La gouttière, quant à elle, doit son nom (je crois) à sa forme en demi tube.
Les tranches sont particulièrement délicates. Exposées directement aux éléments extérieurs, elles sont sujettes à tous types d’altérations : déchirures et chocs, mais aussi poussière, tâches et humidité. Peu importe la structure employée, les tranches restent accessibles. C’est comme si le cœur du livre restait toujours à découvert, et c’est cette vulnérabilité de l’objet qui donne, en partie, sa raison d’être au métier de relieur.
Structure générale du livre relié
Imaginons à présent un livre relié et réfléchissons à sa structure. Une reliure est une structure protectrice organisée autour d’un assemblage dorsal. Même si je vais détailler ici des éléments de reliure classiques (passée-carton), une grande part de cette terminologie est aussi applicable aux autres structures. Nous porterons notre attention sur ce que j’estime être les éléments majeurs de la structure du livre relié : les gardes blanches, le dos, les plats et les mors.
Terminologie du livre relié adapté à une structure classique passée-carton
Terminologie du livre, plat ouvert
Les gardes blanches
Une reliure est donc d’abord un livre, souvent broché, dont le relieur change la structure pour lui apporter de la solidité. Par conséquent, en reliure nous conservons tous les éléments du livre broché, que nous installons dans le nouveau montage au cours des opérations de plaçure. Le livre est préparé à recevoir son nouvel assemblage et reçoit des gardes blanches. Les gardes blanches se placent à l’avant et à l’arrière du livre d’origine. Elles sont composées chacune d’un cahier de 2 feuillets (8 pages) dans un papier de nature semblable à celui du livre. Elles séparent le livre de sa nouvelle structure et servent de tampon chimique entre le livre imprimé et la structure à venir : la reliure. Pour résumer, elles le protègent de lui-même.
Le dos
Un livre, en général, est articulé autour d’un dos. Il est la structure fondamentale du livre. C’est ici que se réalise une grande partie des opérations d’assemblage du document.
Son rôle est de lutter contre la gravité. Le papier étant très lourd et les livres conservés debout, le dos doit pouvoir assurer une force contraire qui maintient les pages en un bloc. Il doit être solide et régulier. La reliure classique et la plupart des structures contemporaines maintiennent le livre en suspension. Le dos doit donc être capable de soutenir la masse du livre sans lui permettre de s’effondrer. Un soin particulier est donc apporté par le relieur au dos de son ouvrage.
L’assemblage classique lui fera adopter, au cours de l'endossure, une forme courbée qui permettra de “loger les cartons”, c’est à dire définir deux emplacements (recto et verso) dans lesquels les plats vont s’imbriquer. Ce travail, réalisé au marteau, crée les mors.
En tête et en queue du dos se situent une coiffe et sa tranchefile, éléments hautement techniques du travail de la reliure.
Vue sur le dos avant opérations d’assemblage : on voit très bien les différents cahiers composant le livre
Endossure et création du mors permettant d’imbriquer les cartons dans la structure du livre
Les plats
Entourant les pages et attachés au dos de diverses manières, se trouvent les plats. Originellement en bois, ils sont depuis le 15e siècle fabriqués en carton. Il y a un plat avant et un plat arrière, qui correspondent respectivement à la première et la quatrième de couverture du livre broché. Chaque plat a deux faces, la face intérieure s’appelle le contreplat (les gardes couleurs y sont collées). Légèrement plus grands que le support de texte, les plats sont la plupart du temps rigides et agissent comme un couvercle. Ils ont un rôle protecteur mais aussi structurel. Ils maintiennent l’ensemble des pages afin d’éviter que le papier, en position debout, ne se replie et ne s’affaisse. Leur épaisseur est nommée les chants. C’est la partie en contact avec l’étagère.
L’ensemble des pages est traité en reliure comme une seule matière solide, qu’on appelle le bloc livre. La différence entre le format des plats et celui du bloc livre s’appelle les chasses. Elles apparaissent au 15e siècle, lorsqu’on commence à mécaniser la (re)production des livres grâce aux caractères mobiles de Gutemberg (1450) et à l’introduction du papier en Europe ( ~14e siècle). Dès lors, il y a plus de livres qu’avant, et je suppose que c’est à ce moment qu’on commence à les conserver debout (on les conservait jusqu’alors à plat). Grâce aux chasses, le bloc livre est maintenu en suspension (le plus longtemps possible) grâce à la structure dorsale. Elle servent donc de support au livre, et permettent alors au papier de ne pas être rogné par les frottements.
Les chasses doivent être adaptées au livre et prévenir l’effet de la gravité sur le papier. Trop courtes, elles risquent de ne pas maintenir le livre en suspension, trop longues, elles risquent elles aussi de s’écraser sous le poids du document
À gauche : livre broché reposant sur son papier de bloc livre
À droite : grâce à ses chasses, le bloc livre est maintenu en suspension dans sa reliure
Quelle que soit la manière dont est posée la reliure fermée, le bloc livre ne peut pas être en contact avec les éléments extérieurs
Les mors
La zone charnière attachant le dos et les plats s’appelle le mors. Il s’agit de la partie mobile d’une reliure. Elle est donc responsable de la bonne ouverture comme de la bonne fermeture de l’objet. Étant la partie la plus sollicitée par l’utilisation d’un livre, elle est celle qui est le plus sujette aux ruptures. La plupart des innovations et inventions structurelles apportées au livre relié concernent cet élément.
Par conséquent, le relieur doit avoir une vigilance constante sur l’état de ses deux mors, de la couture jusqu’aux finitions de son ouvrage. Un mors bien réalisé permettra une grande ouverture des plats autant que leur bonne fermeture. Il sera le plus discret possible depuis l’extérieur, tout en dessinant une ligne bien nette entre le contreplat et la garde volante.
Lors que le plat s’ouvre, la ligne du mors se dessine franchement dans le cuir
Plat ouvert, le mors dessine entre le contreplat et la garde volante une marche nette.
Conclusion
Nous n’avons évidemment pu aborder qu’une mince partie du vocabulaire employé en reliure. Dans cet amas de données, il m’a paru indispensable de documenter en priorité la structure d’une reliure. Pour être exhaustif, il faudrait également documenter les matériaux utilisés en reliure, les outils, l’histoire du livre, les étapes de montage, etc.
De prochains articles complèteront peu à peu ce paysage. Il y a tant de matière !
Merci à Juliette Amigues pour les retours techniques, et à Nicolas Calvo pour la relecture.